Ma Dear Marjolaine.

Marjolaine a des couilles mais aussi des seins, des hanches et une carlingue bien carrossée. Dans sa robe rouge baisé, elle traverse les gradins, pieds nus, sa voix jetée à qui n’en veux, s’interrogeant sans cesse sur la bonne distance à tenir entre elle et nous. Et de ses jeux d’accordéons entre émois et réflexion, Marjolaine Karlin en tire un fil suspendu sur lequel elle marche sans filet. Bien que de ses cabotages, elle ait ramené mille poissons volants, lui donnant l’assurance de qui en a vu d’autres, elle garde ce bout d’enfance qui repose sans cesse les questions, dit merci et sait encore s’émerveiller devant la vague et la falaise.

Pourtant, il aurait juste suffit de s’endurcir un peu, continuer de tracer sur les rails de la chanson franglaise pour que peut-être surgisse le succès. Mais en lieu et place des lisses platanes qui bordurent nos nationales, elle est tombée dans un puit quasiment spatio-temporel. De ce trou béant à travers la terre, elle a creusé son tunnel de Varsovie à Saint-Denis de la Réunion. Au fin fond de la lave brûlante, elle organise une messe noire pour les ancêtres, qu’il soit d’ici, d’ailleurs, d’il y a cinquante ou de 400 ans, enchaînés ou gazés, tous ont le droit d’être appelé et de causer du réconfort. De ce bain de feu, de sang et d’amour, Marjolaine Karkin en est ressortie galvanisée, laissant libre cours à sa façon toute personnelle de décrire le quotidien, entre ironie et tendresse.

Marjolaine sait écrire des textes légers, drôles, qui sentent la mer, le savon, la nuit et l’amour comme elle sait dénoncer, se brûler, invoquer, prendre et se rendre.

Chaque chanson est un tableau, le trait léger ou la couleur rageuse. Marjolaine a tant de choses à dire que parfois ça déborde, mais quand elle tombe juste, alors la flèche décochée nous touche en plein coeur. Comme Patrick Chamoiseau dans Ecrire en pays dominé, Marjolaine Karlin s’est construit ses propres références, ses propres accords, à l’envers de l’histoire officielle, creusant un monde à elle où elle peut parler de sa maternité comme de la shoah, de ses tripes comme des ancêtres, de l’esclavage comme de l’amour sur la plage.

Pour en arriver-là, il aura fallu prendre l’eau plusieurs fois et accoster aussi. Sur cette île lointaine dont on se rappelle parfois (quand il faut décompter lors des élections) qu’elle est nôtre.  Mais pour Danyel Waro, maître à tous, le bout de terre est une autonomie encore à conquérir. C’est sur ces terres de cirques et de grosses vagues que Marjolaine a commencé à apprendre le maloya. Humblement. Il n’y a de toutes les façons aucun moyen de faire autrement et c’est tant mieux. Nul ne peut apprendre en quelques mois ce que d’autres ont hérité sur des centaines d’années et quelques migrations forcées. Marjolaine s’est donc appliquée, au triangle, au rouler et au kayamb, se faisant rabrouer sans mot dire et gagnant ses galons à la sueur de ses mains. Aujourd’hui que le rythme lui est lentement rentré dans la corne, elle peut se permettre de donner à ses chansons ce ton indie-folk maloya – comme elle dit – ou d’écrire la fièvre, morceau a capella et kayamb qui se joue de nos désirs d’humanitaires.

Sandrine Teixido

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